Les amis bruns et les amis blancs

Les noms sont fictifs, mais l'histoire est vraie. Svp restez respectueux dans vos commentaires. Un texte rempli d'humanité écrit par une maman qui a vécu une situation déplorable

Pour le cœur de maman, les grandes étapes dans la vie de nos enfants sont douces-amères. D'une part on ressent la fierté de les voir s'épanouir et s'accomplir, alors que d'autre part on voit comme le temps file à toute allure et on s'ennuie (presque!) des nuits blanches et des coliques.


Aujourd'hui, je vivais ma première rentrée scolaire comme maman. Ma grande à la maternelle!J'avais presque aussi hâte qu'elle. Je garde de merveilleux souvenirs de la maternelle : une enseignante dévouée, une classe chaleureuse et lumineuse, des jouets dans une abondance que je n'aurais même pas imaginé en rêve, et des amis... beaucoup d'amis! On a passé tout un rituel ma fille et moi cet avant-midi. Douche, coiffure, manucure, vêtements neufs, sac, et tout le pataclan! Deux stars prêtes pour le tapis rouge.


Nous qui sommes toujours en retard, aujourd'hui, on était les premières sur place. Pas question d'attendre! Il faut dire que ma fille a hérité de la patience de sa mère. On ne tenait pas en place. Les amis sont arrivés de toutes parts. Il y avait beaucoup de fébrilité dans l'air! Et enfin, les
profs sont sortis, avec leur grand sourire aimant et leur petite liste. Et les enfants ont été nommés un par un. Madame Julie a appelé ses amis la première : Jonathan, Léa, Gabriel, Lorie, Rose, Victoria, Loïc... ont formé le rang.
Puis ce fut le tour de madame Josée : Mamadou, Amira, Pablo, Maurice, Mai, Sami et Boubacar ont emboîté le pas.


J'ai regardé la scène et j'ai figé. Comment, en 2022, à l'ère de l'inclusion et de la diversité, était-il possible que je sois témoin de cela? J'ai laissé partir la main de ma grande, trop heureuse de rejoindre son groupe, ne voyant rien de toute la stupéfaction que j'essayais de dissimuler.

J'ai grandi dans les années 80-90 dans un village blanc. À l'exception d'un seul garçon, qui était métis (adopté de surcroît), pour qui d'ailleurs j'ai longtemps eu des petits papillons dans le ventre. Le destin ne nous aura jamais réunis, mais n'empêche qu'aujourd'hui je trouve cela cocasse puisque je n'éprouve de l'attirance généralement qu'envers les hommes au teint basané. Enfant, on n'avait pas internet. Je ne voyageais pas. Mes parents étaient pauvres.
Moi, mon esprit voyageait. Je dévorais tous les livres que je pouvais. J'avais le goût d'aventures et d'exotisme. Je rêvais des mille et une nuits et j'adorais le film Aladdin.


À l'âge adulte, j'ai étudié à l'étranger. Ma vie a été mise sur pause une décennie le temps d'une maladie et d'une relation toxique avec un vrai québécois yes-no-toaster qui éprouvait de la haine profonde pour toutes les races du monde. J'ai eu le courage de tout reprendre à zéro et de vivre enfin MA vie à l'aube de la trentaine. C'est dans cette rage de vivre que j'ai trouvé l'homme avec qui j'aurais envie de fonder famille et de vivre chacun des jours que j'aurais la
grâce de vivre. Un homme qui me pousse à accomplir mes rêves, à explorer le monde, à être chaque jour la meilleure personne que je puisse être. Un homme d'origine étrangère, au nom exotique et au doux teint de pumpkin-spice-latte. Avec qui, exactement 9 mois après avoir prononcé le fameux "oui, je le veux", j'ai eu la joie incommensurable de donner la vie à ma princesse au cœur d'or, aux yeux d'ébène et à la peau olive.


Alors qu'on revenait à la maison et que je lui demandais comment avait été sa rentrée, cette demoiselle à l'esprit vif m'a dit : " maman, je ne comprends pas pourquoi il y a une classe avec des amis qui ont la peau blanche et une classe avec des amis qui ont la peau foncée. En plus, notre classe à nous, il fait noir, tous les jouets sont vieux et sales. Je veux aller dans l'autre classe. J'ai pas envie d'y retourner." Mon coeur a dû s'arrêter de battre une minute. Elle avait
remarqué. Je n'ai pas su quoi lui répondre. J'ai failli à ma tâche de maman, je n'ai pas su la réconforter et lui expliquer ce que moi-même je n'arrivais pas à comprendre.


Depuis mon mariage, j'en ai vu des affaires. Du racisme systémique. Des fouilles "aléatoires", des regards malaisants, des chuchotements... nommez-les. Mais aujourd'hui, ça a touché ma fille. Née dans Lanaudière, mais qui ne s'appelle pas Tremblay. Une petite fille joyeuse, polyglotte, voyageuse (quand même, elle a vu plus de cinq pays en cinq ans en comptant une pandémie!), qui n'avait d'espoir que pour une première journée d'école dans un esprit de licornes et de paillettes.

Évidemment, j'en ai parlé avec mon mari, qui est d'ailleurs professeur au primaire. Il m'a dit : "tu sais, j'aimerais trouver les mots pour te réconforter et te dire que ça
va bien aller. Mais à ton avis, pourquoi est-ce que je suis toujours sans contrat alors que j'ai envoyé plus de cinquante CV, que j'ai un baccalauréat en enseignement valide et plus de dix ans d'expérience dans le chapeau? L'idée est faite dès lors qu'on lit mon nom."

J'ai eu aussi la mauvaise idée d'aller en parler sur les réseaux sociaux, où j'ai reçu toute une pluie d'injures. Laissez-moi vous dire que cette publication n'a pas fait long feu! Alors toi, qui lis ceci. J'en appelle à ton humanité. J'en appelle à ton cœur de maman. Aime toutes les couleurs de l'arc en ciel et apprends à ton enfant à être un citoyen du monde. Parce que c'est à nous que revient la responsabilité de casser le maillon générationnel de la discrimination et du racisme.

La conclusion: la maman blogueuse est venue me donner des nouvelles
La terre a continué de tourner et le soleil s'est levé comme à son habitude en cette journée fraîche de septembre. Le ton arc-en-ciel de cette ultime journée de rentrée fut donné par une envolée de montgolfières colorées, au rythme effréné des petits pas sur les trottoirs du corridor scolaire.
Cette semaine aura été difficile pour toutes les mamans. Le retour des boîtes à lunch, des sacs à dos, des étiquettes jusqu'aux oreilles et des pleurs de décharge de nos tout petits qui entrent dans un univers qui les dépasse encore.


J'ai eu le cœur gonflé d'amertume. La semaine a été longue. Tous les jours j'ai accompagné ma grande en essayant de la convaincre que ça allait être merveilleux. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de lancer la remarque sur la ségrégation des groupes, un peu fort, devant l'ensemble du corps professoral hier matin. Il faut croire que ça aura donné quelque chose, car surprise, ce matin, on a fait un beau Méli Mélo des groupes et étrangement, les visages se sont
diversifiés.
Ma peine et ma colère étaient justifiés. Les mamans qui ont fait pleuvoir des insultes sur les réseaux sociaux ne hantent plus mon esprit. J'ai fait ce qui est juste, j'ai dénoncé. La morale de l'histoire : tout le monde contribue à la justice. Les mamans d'aujourd'hui contribuent à façonner la société de demain, en éduquant des humains dans la bienveillance envers soi-même et les autres. Être témoin, c'est prendre position. Je n'ai pas choisi de porter quelque flambeau qu'il
soit. J'ai juste décidé de me tenir debout pour faire du monde qui m'entoure un monde un peu meilleur, une journée à la fois.

1 commentaire

  • Bravo d’avoir dénoncé cette situation d’injustice. Cela ne fera pas disparaître tous les cas de racismes, mais chaque geste compte pour aller dans la bonne direction. J’espère que les personnes responsables de cette ségrégation doivent maintenant rendre comptes de leurs choix déplorables.

    Karyn

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